ANALYSER L’ARCHITECTURE DE LA PHRASE POUR EN TROUVER LES ÉLÉMENTS

 

Pour identifier tel ou tel élément dans un texte ou dans une phrase

Parfois, on demande aux élèves de faire un relevé. Par exemple, on demande de trouver les verbes d’un texte ou le verbe d’une phrase pour en amorcer l’étude. Ou bien, pour étudier les formes des adjectifs, on demande de les relever dans un texte. Ce type de tâche met régulièrement les élèves en difficulté.

 

Les élèves fragiles imaginent y parvenir en mobilisant la définition de l’objet recherché. Cela conduit à un tri infaisable : au fil de la linéarité du texte, il faudrait prélever chaque élément, voir s’il est conforme ou non à la définition, et selon le cas le conserver ou le rejeter. Procéder ainsi les conduit souvent – du moins les plus fragiles – à « aller à la pêche », dans une sorte de recherche aléatoire et inorganisée. Aléatoire parce qu’ils ne retiennent souvent qu’un ou deux éléments de définition, et inorganisée parce qu’ils ne suivent pas souvent l’ordre du texte alors qu’ils n’ont guère d’autres moyens pour marquer ce qui a été examiné, admis ou rejeté comme non conforme.

Pour effectuer la même tâche, les experts – et les élèves habiles, sans en être nécessairement conscients – utilisent une autre procédure qu’un tri itératif, élément après élément. Ce n’est pas seulement une définition qu’ils utilisent pour effectuer la tâche ; en réalité, ils projettent sur chaque phrase l’architecture a priori d’une phrase canonique pour localiser les positions où peut / doit se trouver l’élément recherché. C’est cette procédure qu’il convient d’enseigner.

Un exemple de démarche

La maitresse d’un CM2 souhaitait revenir aux différents types de variation de l’adjectif. Pour cela, elle a donné la consigne de les relever dans un texte. Voici le texte :

L’Aigle royal est une espèce de grands rapaces de la famille des Accipitridés. L’oiseau brun possède un plumage plus doré sur la tête et le cou. Cet agile chasseur utilise sa vitesse et ses serres extrêmement puissantes pour attraper ses proies : des lapins, des marmottes et de grands mammifères comme les renards, les chats sauvages et domestiques, de jeunes  bouquetins et de jeunes cervidés. Ce rapace consomme aussi des charognes, si les proies sont rares, ainsi que des reptiles.

D’abord, la maitresse a demandé que les phrases soient traitées l’une après l’autre, parce que la phrase est l’unité utile pour une analyse grammaticale de ce type (pour des pronoms personnels, l’unité utile serait le paragraphe). Ensuite dans chaque phrase, est recherchée l’articulation de la phrase, c’est-à-dire la jointure entre le GN sujet (de quoi on parle ?) et le GV (qu’est-ce qu’on en dit ?) :

L’Aigle royal // est une espèce de grands rapaces de la famille des Accipitridés.
L’oiseau brun // possède un plumage plus doré sur la tête et le cou.
Cet agile chasseur // utilise sa vitesse et ses serres extrêmement puissantes pour attraper ses proies : des lapins, des marmottes et de grands mammifères comme les renards, les chats sauvages et domestiques, de jeunes  bouquetins et de jeunes cervidés.
Ce rapace // consomme aussi des charognes, si les proies sont rares, ainsi que des reptiles.

La maitresse demande alors d’identifier groupes nominaux sujets, groupes verbaux et compléments de phrase :

L’Aigle royal // est une espèce de grands rapaces de la famille des Accipitridés.
L’oiseau brun // possède un plumage plus doré // sur la tête et le cou.
Cet agile chasseur // utilise sa vitesse et ses serres extrêmement puissantes // pour attraper ses proies : des lapins, des marmottes et de grands mammifères comme les renards, les chats sauvages et domestiques, de jeunes  bouquetins et de jeunes cervidés.
Ce rapace // consomme aussi des charognes, // si les proies sont rares, // ainsi que des reptiles.

À ce point la maitresse a reformulé la demande initiale : trouver les adjectifs. Les quatre élèves les plus fragiles se sont arrêtés à cette analyse et n’ont relevé que les adjectifs dans les groupes nominaux sujets. Mais les autres, sans doute mieux accoutumés à observer les groupes du verbe, ont identifié encore d’autres groupes nominaux. Ils ont ainsi identifié, quasi tous, les adjectifs épithètes :

L’Aigle royal // est une espèce de grands rapaces de la famille des Accipitridés.
L’oiseau brun // possède un plumage plus doré sur la tête et le cou.
Cet agile chasseur // utilise sa vitesse et ses serres extrêmement puissantes pour attraper ses proies : des lapins, des marmottes et de grands mammifères comme les renards, les chats sauvages et domestiques, de jeunes  bouquetins et de jeunes cervidés.
Ce rapace // consomme aussi des charognes, si les proies sont rares, ainsi que des reptiles.

Dans cette classe de CM2, aucun élève n’a identifié l’adjectif attribut rares. Une hypothèse a été que cet adjectif est loin dans l’arborescence de la phrase, et que l’identifier demande un travail d’analyse plus complexe et plus aventureux pour isoler la subordonnée… Autre hypothèse : il se peut que la structure du groupe verbal avec attribut ne soit pas assez bien intégrée…

En revanche, dans une autre classe de CM2, située dans un quartier favorisé et qui est plutôt une excellente classe, le même exercice donné avec une consigne abrupte et sans l’aide préparatoire de la maitresse, la récolte a été beaucoup moins bonne. Et la réponse massive à la question « comment as-tu fait pour savoir que tel ou tel mot était un adjectif » a été « mais c’est parce que je le sais… » ; parfois aussi « parce que ça va avec tel ou tel mot » sans plus de précision sur le sens de ce « aller avec ».

Trouver le verbe, trouver le sujet  

Pour trouver le verbe, on demande parfois aux élèves de rechercher le mot qui change si l’on change le temps ou si l’on change la personne. Pour trouver le sujet, on propose de rechercher le mot (les mots) qu’on peut remplacer par il / elle ou par ils / elles ou les mots qu’on peut encadre par c’est… qui… Ces « trucs » peuvent conduire certains à passer en revue les mots dans des opérations douteuses, loin de toute compréhension de la langue.
En réalité, ce sont simplement des procédures de vérification

Le mot du didacticien
Nous appelons « truc » une procédure qu’on peut appliquer même si l’on n’en comprend pas la raison.
Les « trucs » sont couteux, parce qu’ils obligent à interrompre le travail de lecture ou d’écriture pour être appliqués et qu’il faut ensuite retrouver le fil de ses pensées.
Les « trucs » risquent aussi de nuire à l’apprentissage : ils dispensent de comprendre réellement comment fonctionne la langue, ils peuvent s’enkyster et entraver la mémorisation des structures syntaxiques.

La situation n’est pas très différente des relevés. Là encore, c’est la phrase qui est l’unité de travail pertinente : la fonction d’un mot se comprend à partir de la position que le mot occupe dans la phrase (voir la page Les mots ont-ils une nature ? ). Il s’agit encore de projeter sur la phrase à lire le schéma prototypique de la phrase canonique :

            [groupe sujet] [groupe du verbe] + n x [complément circonstanciel de phrase]

Distinguer les homophones 

L’enseignement traditionnel propose souvent des substitutions, des « trucs » : « si on peut remplacer [a] par [ave], alors c’est le verbe avoir et on ne met pas d’accent ». Là encore, la mise en évidence de structures prototypiques et l’étude contrastée des environnements syntaxiques semblent plus opérationnelles pour distinguer les différents homophones (voir la page Étudier les homophones).

Développer une perception souple du schéma prototypique

Ces deux tâches (trouver le verbe et son sujet, distinguer les homophones) supposent une souplesse dans la perception du schéma prototypique. L’ambition essentielle d’un enseignement de la langue vise à rendre la plus souple possible cette perception par-delà les éléments qui peuvent la compliquer, les expansions, transformations, insertions…

Voici un aperçu des progressions que nous proposons :

– pour la phrase canonique

– pour les expansions du groupe nominal

– pour les transformations ou changement de types

Développer la capacité à revenir au schéma prototypique

Ces tâches supposent aussi lorsque le cas est difficile, lorsque distinguer « de qui on parle » (le groupe sujet) et « ce qu’on en dit » (le groupe verbal) n’est pas évident, lorsque la phrase à traiter n’est pas canonique, de la « faire maigrir » (c’est-à-dire l’amputer des expansions), la « raccourcir » (c’est-à-dire l’amputer des compléments de phrase), parfois y reconnaitre une transformation et la défaire pour s’y retrouver.

Soit par exemple cette phrase difficile à comprendre, même pour des CM2 habiles, et où il n’est pas simple d’identifier, par exemple, les sujets auxquels sont accordés les verbes :
Quand je réfléchis qu’un homme seul, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir du désert ce pays de Canaan, je pense que, malgré tout, la condition humaine est admirable.
                                                                                 Giono, L’homme qui plantait des arbres, Gallimard, coll. Folio benjamin

Si l’on supprime les expansions, cela devient :
Quand je réfléchis qu’un homme……, ………………………………………………………………………, a suffi pour faire surgir du désert ce pays ……………………, je pense que, ………………, la condition humaine est admirable.

Et si l’on défait les subordinations, cela devient :
…….. …je réfléchis ……un homme ……, ……………………………………………………………………, a suffi pour faire surgir du désert ce pays ……………………, je pense………, ………………, la condition humaine est admirable.

Je réfléchis : un homme a suffi pour faire surgir du désert ce pays. Alors, je pense : la condition humaine est admirable.

Et en supprimant les verbes modalisateurs :
Un homme a suffi pour faire surgir du désert ce pays : la condition humaine est admirable.

Le propos est alors bien plus simple à saisir, et l’on peut alors revenir à la phrase de départ pour en apprécier toute la finesse, observer (et gouter) comment jouent les rapports hiérarchiques et les retards apportés à la conclusion essentielle.
On voit que le travail grammatical sert aussi la compréhension fine.