Au cœur de la démarche, il y a cet objectif majeur : aider l’élève à mieux utiliser les ressources de la langue pour comprendre et pour se faire comprendre, et il y a l’intelligence de l’élève : sa capacité à observer, à comparer, à inférer. Mais il y a aussi l’obstacle le plus consistant : se déprendre des enjeux du « vouloir dire » pour envisager la langue comme un objet en soi, indépendamment des enjeux de la communication ordinaire.
La démarche en quatre temps
Les opérations cognitives
« Opérations cognitives » ou « gestes du grammarien » ?
La démarche en quatre temps
Voilà pourquoi la démarche se déplie systématiquement sur quatre temps, que ce soit à l’échelle d’une leçon ou à l’échelle d’une séquence de plusieurs leçons.
Le premier temps vise à donner du sens à l’étude prévue. La notion ciblée est abordée de telle sorte qu’elle apparaisse comme le moyen de résoudre une difficulté de compréhension ou de justifier un étonnement. Ainsi, la notion de groupe du verbe est abordée à partir de verbes qui changent de sens selon leur complément (jouer avec sa santé / jouer de l’harmonica). Ce moment, crucial, enrôle les élèves dans l’étude et permet de formuler une question qui anime toute la recherche qui suit.
Le deuxième temps est celui de l’investigation. Sont alors proposées des activités qui installent l’élève en position d’observateur/chercheur qui réfléchit sur la langue. Ce sont des situations où l’on compare et classe des formes, découpe des phrases, isole des marques spécifiques. À l’issue de cette étape, les savoirs sont institutionnalisés.
Le troisième temps vise à installer des routines, entrainer les procédures et structurer les savoirs. Les activités proposées à cette étape rebrassent les connaissances et inscrivent ainsi les apprentissages dans la durée. Il s’agit souvent d’exercices relativement traditionnels, de dictées discutées, d’analyses d’erreur qui sollicitent l’intelligence. Mais l’étude des homophones grammaticaux offre aussi de belles occasions de revenir sur les apprentissages déjà menés.
Le quatrième temps est celui du réinvestissement dans les tâches langagières, tant en lecture pour interpréter des passages obscurs qu’en écriture quand une consigne est donnée qui conduit à mobiliser telle ou telle connaissance (par exemple : écrire une liste d’animaux qui font peur demande à pratiquer les accords dans le groupe nominal). Dans ce dernier cas, il est préférable de ne pas dévoiler la visée grammaticale de l’exercice afin de mieux percevoir chez les élèves leur représentation réelle de la langue.
Ces consignes d’écriture ne sont pas à négliger, elles permettent de « boucler la boucle » : on est parti de problèmes langagiers, on y fait retour muni d’habiletés nouvelles.
Au cœur de la démarche : les opérations cognitives
Dans les tâches d’investigation destinées à construire progressivement les notions cruciales, nous avons privilégié cinq types d’opérations :
– la variation : par exemple, passer du féminin au masculin, du singulier au pluriel, d’un temps à un autre… Cela permet de comprendre le jeu des marques (du féminin, du pluriel, du temps…) ;
– le classement : classer des mots, des groupes de mots, des phrases, des textes (noms / verbes ; groupes du verbe avec COD / groupes du verbe avec attribut ; phrases négatives / phrases affirmatives…) Cela permet de construire les notions par contraste et de poser des éléments de définition ;
– l’appariement – appelé auprès des jeunes élèves « les bons copains » : apparier des déterminants et des noms pour en déduire le genre des noms et le statut de nom donneur… Cela permet de clarifier ce qui peut relier des mots entre eux ;
– le complètement – appelé auprès des jeunes élèves « boucher le trou » : par exemple, combler les lacunes d’un « texte à trous » pour identifier la différence entre les déterminants indéfinis qui présentent un nouvel élément du propos et les définis qui reprennent un élément déjà connu du lecteur… Cela permet de percevoir les contraintes qui pèsent sur tel ou tel endroit d’une phrase ;
– la transformation : par exemple, transformer une phrase en utilisant des pronoms pour éviter des répétitions… Cela permet de saisir les conditions d’emplois de tel ou tel tour.
Ces cinq opérations reviennent de leçon en leçon. Lorsque les élèves en sont un peu familiers, elles sont explicitées : la façon de les mener est clarifiée, l’objectif et le type de gain espéré sont définis. Et chacune est signalée par un pictogramme facile à afficher pour que chaque élève comprenne ce qui est attendu de lui.
Ainsi stabilisées, elles sont un élément clef d’un enseignement explicite et de l’élaboration d’une conscience disciplinaire.
Remarque : Opérations cognitives ou « gestes du grammairien » ?
Le choix de mettre en avant ces cinq opérations (variation, classement, appariement, complètement, transformation) plutôt que les « gestes du grammairien » (supprimer, remplacer, encadrer, déplacer, ajouter) tient à notre option didactique essentielle.
Dans notre méthode, il s’agit que les élèves « ouvrent le capot », qu’ils identifient et observent les éléments grammaticaux depuis l’ensemble signifiant (le texte, la phrase) et non pas l’inverse. Autrement dit, on démonte le texte en paragraphes ou la phrase en groupes, le groupe en mots, le mot en radical et marque(s) ; on évite de partir des mots pour remonter à la construction de la phrase.
Or si les gestes du grammairien sont mieux définis, s’ils apportent à l’étude une rigueur scientifique de linguiste, ils s’appliquent à des éléments déjà isolés : la suppression touche les compléments de phrase ou les expansions du groupe nominal, l’encadrement est pertinent pour identifier le verbe (encadrement par ne… pas…) ou pour isoler le groupe sujet (encadrement par c’est… qui……), l’ajout sert à clarifier l’appartenance à une classe de mots (ajout de très devant un adjectif, ajout d’un pronom sujet devant un verbe…), etc.
Bref, choisir celui des gestes qui permettra de dénouer une obscurité suppose que celle-ci ait été déjà clairement identifiée, et le geste permet alors de vérifier une hypothèse – il ne permet pas de problématiser la difficulté et d’imaginer une hypothèse.