QU’EST-CE QU’UN ACCORD ?  

Cette notion a été élaborée tout au long de la longue histoire de la grammaire scolaire (voir la page Quelques jalons de l’histoire de la grammaire, point 1). Le terme d’accord désigne le fait que certaines marques manifestent une solidarité syntaxique et/ou sémantique existant entre des mots. Un accord joue donc un rôle important dans la compréhension : un accord est fonctionnel.

On distingue deux sortes d’accord.

Les accords liés aux positions syntaxiques :
– accord dans le groupe nominal (depuis le nom vers le déterminant, vers l’adjectif épithète…). Cet accord assure l’unité du groupe ;
– accord depuis le groupe sujet vers le verbe. Cet accord est au cœur de la construction de la phrase, c’est lui qui manifeste la relation entre le groupe sujet (qui correspond souvent au thème, à ce dont on parle) et le groupe verbal (qui correspond souvent au prédicat, à ce qu’on dit du thème). Il y a proposition (principale, indépendante ou subordonnée) si et seulement si on y voit une relation entre un sujet et un verbe.

Les accords entre des mots qui désignent les mêmes référents (« qui parlent de la même chose » comme disent les enfants) :
– accord depuis le sujet vers l’attribut du sujet – depuis le COD vers l’attribut du COD :
     La soupe est chaudeje la trouve trop chaude.
– accord depuis le nom vers l’adjectif épithète détaché (adjectif apposé) :
    Froide, la soupe n’est plus très bonne.
– accord depuis son antécédent vers le pronom :
    La soupe a refroidi, elle n’est plus très bonne.

Ces sortes d’accord facilitent l’identification du lien sémantique, il est parfois indispensable pour trouver l’antécédent d’un pronom : Paul et Virginie marchent sur la plage, il la précède de quelques pas. il – pronom masculin – renvoie à un nom maculin (il désigne donc Paul), la – pronom féminin – renvoie à un nom féminin (il désigne donc Virginie) : le garçon va devant.

Dans un accord, un mot impose aux autres les marques pertinentes. On dit qu’il commande l’accord, qu’il est le donneur (il « donne » le critère à appliquer pour sélectionner les marques attendues).
Ainsi c’est le nom, masculin ou féminin, singulier ou pluriel, qui impose la forme du déterminant (même si c’est parfois le déterminant qui « révèle » le genre du nom) : l’accord se fait depuis le nom vers le déterminant.
De même, c’est le groupe sujet qui impose au verbe le choix entre la personne 3 (autrement dit : la 3e du singulier) ou la personne 6 (autrement dit : la 3e du pluriel)…
On dit que le mot qui s’accorde (le déterminant dans le groupe nominal, le verbe à un mode personnel) est le receveur.

L’accord au croisement de la syntaxe et de la morphologie

Pour bien accorder un mot, il faut tenir compte de deux logiques qui se croisent :
-> la logique syntaxique, évoquée ci-dessus : un mot donneur impose au mot receveur de se conformer à tel ou tel critère.
-> la logique morphologique : le mot receveur est susceptible de prendre telle ou telle forme, mais le répertoire des formes possibles est limité. Par exemple, le déterminant leur ne permet pas d’opposer une forme masculine et une forme féminine ; il ne change pas entre leur beau soulier ou leur belle chaussure.
Pour accorder un mot, il y a donc deux questions à se poser : quels sont les critères syntaxiques que demande le mot donneur ? et quelle forme peut avoir le mot à accorder ?

Pour rendre manifeste le croisement de ces deux logiques on peut utiliser le dispositif des « tirettes ».

Les critères essentiels selon lesquels peuvent varier les formes sont les oppositions qui existent entre singulier et pluriel (noms, déterminants, adjectifs) ; entre féminin et masculin (déterminants, adjectifs) ; entre les 6 personnes (verbes, déterminants possessifs, pronoms personnels) ; entre différentes fonctions (pronoms personnels : il / le / lui ; relatifs : qui / que / …).

Critères de variation dans les accord

À noter : les accords complexes 

Le déterminant possessif et le pronom personnel sont en lien avec un nom qui précède dans le propos (l’antécédent) et ils s’insèrent dans une nouvelle phrase. Ils sont donc au carrefour entre une logique de continuité dans l’information (logique de coréférence) et la logique de la phrase (logique syntaxique). Ils sont pris dans les deux systèmes d’accord.

Le déterminant possessif
– prend les formes de genre et de nombre qu’il reçoit du nom qu’il détermine (accord syntaxique avec le ‘possédé’, le mot donneur est le ‘possédé’) :
Je promenais mon chien et ma mélancolie.
– mais il prend les formes de la personne grammaticale qu’il reçoit de son antécédent (accord de coréférence avec le ‘possesseur’, le mot donneur est le ‘possesseur’) :
La lune sommeillait, les étoiles s’absentaient : sa blafarde clarté et leur obscure lueur m’égaraient.
Mon âme oubliait ton dédain et accrochait les haies.


Le pronom personnel
– varie en personne
– prend les formes de genre et de nombre qu’il reçoit de son antécédent (accord de coréférence) :
Elle oubliait ton dédain.
– mais il prend les formes syntaxiques qu’il reçoit de sa position dans le groupe verbal (accord syntaxique) :
Elle t’oubliait pour s’écorcher aux buissons d’épines-vinettes.

À noter : la singularité du pronom relatif simple

– Il ne varie ni en genre, ni en nombre, ni en personne.
– Il prend la forme qu’il reçoit de la structure syntaxique où il intervient :
Sujet : Le livre qui me renseigne est un dictionnaire. Ce livre me renseigne.
COD : Le livre que je consulte est un dictionnaire. Je consulte ce livre
Complément (quel qu’il soit) autrement introduit par la préposition de :
            Le livre dont je te parle est un dictionnaire. Je te parle de ce livre. (parler de qqch : COI)
            Le livre dont j’ai perdu le nom est un dictionnaire. J’ai perdu le nom de ce livre. (le nom du livre : CdN)
            Le seul livre dont j’aie besoin ici est un dictionnaire. J’ai vraiment besoin de ce livre. (avoir besoin de qqch : COI)
Complément de lieu ou de temps : Le livre je cherche un mot est un dictionnaire. Je cherche dans ce livre.                                                                                   À l’époque les dictionnaires n’étaient pas en ligne, c’étaient de gros livres.
– Il ne varie pas en personne, mais il est comme « poreux à la personne » et – quand il est sujet – le verbe de la proposition relative est accordé à la personne qu’il représente :
Moi qui suis pourtant négligent, je m’en souviens parfaitement.
On vous avait prévenu, qui vous targuez d’être si habile !

Cette singularité entraine beaucoup de difficultés. La forme dont en particulier est en voie de disparition et il n’est pas rare d’entendre des formules comme : *Le livre que j’en ai besoin. Dans ce tour, l’élément pronominal est réalisé par le pronom adverbial en et le que fonctionne comme une simple conjonction et signifie seulement la subordination.

On entend aussi, et plus  souvent (jusque dans des médias prestigieux), des formules comme : *Le livre que j’ai besoin. Dans cet autre tour, le mot que semble jouer les deux rôles de subordonnant et de pronom, ce qui suggère l’effacement de la variation selon la fonction, ou plutôt sa réduction à la seule opposition qui / que.

Le gout des mots
Le français du Moyen Âge avait hérité du latin un reste de déclinaison (c’est-à-dire la variation des groupes du nom et des pronoms selon leur fonction). On distinguait la situation où le GN était sujet (li murs) et celui où il n’était pas sujet mais avait n’importe quelle autre fonction (le mur).  Seule la seconde forme, plus fréquente, est restée.
De nos jours, on constate à peu près la première étape d’une même évolution pour le pronom relatif : il ne reste plus que la différence entre une forme sujet (qui) et une autre forme (que) pour les autres rôles syntaxiques.