REGROUPER LES VERBES
Traditionnellement, on répartit les verbes en trois groupes en se fondant sur les formes de leur infinitif. Le choix de ce critère reprend le modèle de la catégorisation des verbes en latin, mais, en français, il complique la compréhension de la conjugaison plus qu’il ne la simplifie.
– en -er : 1er groupe
– en -ir (participe présent en -issant) : 2ème groupe
– autre (-ir, -re, -oir, -dre) : 3ème groupe.
Le numéro d’ordre attribué correspond à la répartition des verbes dans la langue : 1er groupe : environ 8000 verbes ; 2ème groupe : environ 350 verbes ; 3ème groupe : environ 90 verbes (sans compter ceux qui en sont dérivés par ajout d’un préfixe, ce qui fait environ 400 verbes au total).
Le mot du pédagogue
Dans les textes la répartition n’est pas la même : on rencontre quelque 55% de verbes du 1er groupe et 45% d’autres verbes. Il n’y a donc pas de raison bien solide pour restreindre au 1er groupe le premier enseignement de la conjugaison.
Les problèmes que pose la répartition en trois groupes
Seul le 2nd groupe correspond à un ensemble de verbes totalement cohérent : ils se conjuguent effectivement tous de la même façon. On se demande seulement pourquoi, traditionnellement, c’est le participe présent qu’on mettait en avant pour les distinguer d’autres verbes : la suite –iss– se retrouve à bien d’autres formes (et plus fréquentes : les personnes 4, 5 et 6 du présent, l’imparfait, le subjonctif…) que le participe présent. De plus, la notion de « participe présent » n’est pas franchement familière aux élèves.
Le 1er groupe n’est pas aussi régulier qu’on l’imagine spontanément. Ceux dont le radical se termine par un –c– (placer), par un –g– (nager), par –i/y– (noyer), ceux dont le radical comporte la voyelle est un –e– (appeler, geler) sont soumis à des variations que ne prévoit pas le modèle prototypique du verbe chanter.
Le prétendu 3ème groupe n’a aucune cohérence : c’est un vrac hétéroclite où l’on peut certes repérer des similitudes entre certains verbes (entre 2 : tenir et venir et 15 : type éteindre) mais où on trouve une trentaine de singletons. Regrouper tous ces verbes, c’est laisser croire que le groupe aurait un début de cohérence, c’est produire un leurre. Il est plus logique de considérer ces quelque 90 verbes comme des verbes irréguliers, comme on fait en anglais ou en allemand, langues où le nombre de verbes particuliers est similaire.
Pour retrouver la liste de ces verbes irréguliers, voir ici.
La détermination des formes d’infinitif pose un autre problème, qui tient à ce qu’on prend en compte. En effet des infinitifs comme voir et vouloir, comme vendre et peindre ou comme grandir et partir semblent partager les mêmes terminaisons. Mais en réalité, la marque de l’infinitif n’est pas nécessairement la même : le –i– de grandir se retrouve dans toutes les formes de la conjugaison (je grandis, je grandissais, grandissant, j’ai grandi…), il appartient donc au radical de ce verbe, et la marque de l’infinitif se réduit à –r ; en revanche, le –i– n’apparait pas dans toutes les formes de partir (je pars / nous partons, je partais, partant…), il appartient donc à une autre marque d’infinitif, la marque –ir.
De même, le –d– de vendre appartient au radical (je vends / nous vendons, je vendais, vendant, j’ai vendu…) et celui de peindre n’appartient pas au radical (je peins, je peignais, peignant, j’ai peint…) ; vendre a donc un infinitif en –re (comme rire ou croire), et peindre a un infinitif en –dre (comme coudre ou joindre). De même, voir a un infinitif en –r (je vois / nous voyons, je voyais, voyant…) et vouloir un infinitif en –oir (je veux / nous voulons, je voulais, voulant, voulu…).
En classe, pourquoi a-t-on besoin de catégoriser les verbes ?
(Voir aussi la page Comment conjuguer ?)
Comment fait-on pour générer la conjugaison ?
Les erreurs des jeunes enfants révèlent comment les formes verbales s’engendrent les unes des autres en fonction des multiples analogies.
Quand un enfant dit : « Vous *disez des bêtises. », il construit la forme de la personne 5 sur la base du radical avec consonne conformément au modèle de vous lisez. Quand un autre dit : « Il veut pas *viendre. », il s’appuie sur la relation entre le futur et l’infinitif. Seulement, dans les deux cas, l’enfant ne se rend pas compte que le verbe utilisé est irrégulier et n’obéit pas aux règles générales.
L’écrit, avec ses nombreuses lettres muettes, impose d’expliciter les règles. Or, pour pouvoir engendrer toutes les formes d’un verbe (hormis les formes aberrantes), il faut connaitre 6 formes (parfois 7, si le futur est aberrant).
il faut savoir si les personnes 1, 2 et 3 du présent ont des marques en -e, -es, -e ou en –s, -s, -t (par ex. je ser-s vs je serr-e)
À partir de la personne 1 du présent (je ser-s, je serr-e), on engendre les personnes 2 et 3 du présent (tu ser-s, tu serr-es ; il ser-t, il serr-e) et la personne 2 de l’impératif (ser-s, serr-e)
À partir de la personne 4 du présent (nous serv-ons, nous serr-ons), on engendre l’imparfait (je serv-ai-s, tu serv-ai-s… je serr-ai-s, tu serr-ai-s…), le subjonctif aux personnes 4 et 5 (que nous serv-i-ons, que vous serv-i-ez ; que nous serr-i-ons, que vous serr-i-ez) et le participe présent (serv-ant ; serr-ant)
À partir de la personne 6 du présent (ils serv-ent, ils serr-ent), on engendre les formes du subjonctif aux personnes 1, 2, 3 et 6 (que je serv-e, que tu serv-es… que je serr-e, que tu serres…)
À partir de l’infinitif (serv-ir, serr-er), on engendre le futur (je serv-ir-ai, tu serv-ir-as… je serr-er-ai, tu serr-er-as…) et le conditionnel (je serv-ir-ai-s, tu serv-ir-ai-s… je serr-er-ai-s, tu serr-er-ai-s…)
À partir du participe passé, on engendre toutes les formes composées (j’ai servi, j’avais servi, j’aurais servi… j’ai serré, j’avais serré, j’aurais serré…)
Enfin, il faut connaitre la forme du passé simple qui ne se déduit d’aucune autre forme.
La (relative) simplicité des verbes du 1er groupe
Seuls les verbes du 1er groupe – dans les limites évoquées ci-dessus – permettent de prédire les formes de manière relativement aisée. Pour tous les autres verbes, de quelque manière qu’on les catégorise, certaines formes ne sont pas prévisibles : les formes de l’infinitif, du participe passé et du passé simple. Ces formes, il faut les savoir (s’appuyer sur l’oral et en retrouver l’orthographe dans sa mémoire).
En classe, il est donc utile d’opposer les verbes du 1er groupe aux autres, afin d’être en mesure :
– de choisir à l’indicatif présent la bonne série de marques des personnes 1, 2 et 3 (en –e, -es, -e et non pas –s, -s, -t) – puisque seuls (ou presque : c’est le cas aussi des types ouvrir et cueillir) les verbes du 1er groupe reçoivent les marques -e, -es, -e
– de prédire le participe passé en –é / [e]
– de choisir les marques de la personne du passé simple (je …ai, il/elle …a, ils/elles …èrent)
Pour cela, il suffit de s’appuyer sur la sonorité des infinitifs : pour les verbes du 1er groupe, on entend [e] et l’on voit –er, pour tous les autres, on entend un [r] quelle que soit la marque de l’infinitif.
En revanche, il n’est guère utile de distinguer les verbes du 2nd groupe parmi les autres. Le seul service que cela pourrait rendre serait de stabiliser l’orthographe du participe passé (fini, par opposition, par exemple, à pris, mis…à dit, écrit…). Mais parti, dormi, senti… partage la même orthographe sans relever pour autant du 2nd groupe.
En réalité, retrouver puis mémoriser les consonnes finales des participes (c’est le vrai problème orthographique qui concerne les participes passés) exige le même travail cognitif que les consonnes finales de certains adjectifs (type gris/grise par opposition à bleu / bleue).
Le mot du linguiste
Le verbe aller, très irrégulier, ne répond pas à ce critère.
Les verbes offrir, couvrir, souffrir, ouvrir et les verbes cueillir, tressaillir et défaillir n’y répondent pas non plus. Mais on ne rencontre pas d’erreur sur le présent de ces quelques verbes, il est donc inutile de mentionner en classe leur cas particulier.