À QUOI CORRESPONDENT LES 6 PERSONNES GRAMMATICALES ?

D’un point de vue sémantique, dans les langues indo-européennes, la notion de personne grammaticale réfère à la situation de dialogue.

La personne 1 (je) correspond à la personne qui énonce la phrase.
La personne 2 (tu) correspond à la personne à qui la phrase est adressée.
La personne 3 (il / elle) correspond à la personne qui n’est ni celle qui énonce la phrase, ni la personne (les personnes) à qui la phrase est adressée ; cette personne 3 correspond à la personne dont on parle sans qu’elle participe à l’échange. Elle peut aussi correspondre à un objet, à une notion abstraite…
La personne 6 (ils / elles) correspond à un groupe de plusieurs personnes, groupe auquel n’appartient pas la personne qui énonce la phrase, ni la personne (les personnes) à laquelle (auxquelles) la phrase est adressée. Elle peut aussi correspondre à des objets, des notions abstraites…

Comme les paroles s’échangent dans un dialogue, les mots je et tu changent de référent à chaque nouvelle prise de parole. Cela n’entraine aucune difficulté de compréhension dans une situation orale, mais peut devenir délicat dans un dialogue rapporté à l’écrit.

Le gout des mots
L’album Le petit roi d’Anne-Claire Lévêque et Isabelle Simon (éd. du Rouergue) illustre malicieusement le fait que le mot moi change de sens selon la personne qui le prononce.

Il s’agit là d’un ensemble de base. Si l’on ajoute à la situation de dialogue davantage de personnes, il devient plus complexe de décrire les situations à envisager.

La personne 4 (nous) correspond à un groupe de personnes auquel appartient celle qui énonce la phrase et il est supposé que ce groupe est solidaire de ce porte-parole. Ce groupe peut comporter la (les) personne(s) à laquelle (auxquelles) la phrase est adressée : on parle alors de « nous inclusif » ; il peut aussi ne pas l’inclure : on parle alors de « nous exclusif ».

Le mot du linguiste
Exemple de « nous exclusif » : Paul et ses frères demandent à leur mère : « Est-ce que nous pouvons aller à la rivière pendant que vous préparez le piquenique ? » Exemple de « nous inclusif » : Paul et ses frères demandent à leur mère : « Est-ce que nous allons manger bientôt ? »

La personne 5 (vous) correspond à un groupe de personnes (ou à son porte-parole : les autres membres du groupe peuvent être absents) à qui la phrase est adressée ; la personne qui énonce la phrase n’appartient pas à ce groupe.

Les mots possessifs (mon, le mien… / ton, le tien) sont choisis en relation avec la personne du possesseur. Dans certaines langues (le latin, l’arabe), on choisit sur le même critère de proximité avec l’énonciateur les démonstratifs. En français, l’opposition entre ici et marque un éloignement plus ou moins grand par rapport à la (les) personne(s) qui parle (personne 1 : je ; personne 4 : nous) : ici est proche de « je », est plus loin de « je ». Cette opposition vaut aussi pour les présentatifs voici et voilà.

Le mot du linguiste
En latin hic liber peut signifier : ce livre-ci, ou mon livre ou notre livre ; iste liber, ton livre ou votre livre ; ille liber (le pronom français il l elle vient de ce mot ille) ce livre-là, son livre, leur livre

Remarques :

1) La notion de « personne du pluriel » est problématique :

Le nous dit de modestie (quand on écrit un papier académique), le nous dit de majesté (celui du roi), le vous dit de politesse ne désignent en fait qu’une personne seule.

Par ailleurs, le « nous » n’est pas un ensemble de « je » : un seul prend la parole, il est seulement censé porter une parole collective. Le « vous » n’est pas davantage une collection de « tu », la parole peut être à tous les membres du groupe, mais elle peut n’être adressée qu’à un seul interlocuteur qui représente l’ensemble, les autres membres n’étant pas présents.

Voilà pourquoi les linguistes préfèrent parler de personne 4, de personne 5 et de personne 6 plutôt que de parler de « personnes du pluriel ».

Le gout des mots
Les usages « de politesse »

L’usage « poli » des formes du pluriel vient de l’époque où l’empire romain était dirigé par quatre personnes, les tétrarques (un empereur et un vice-empereur pour l’empire d’occident, là où on parlait latin ; un empereur et un vice-empereur pour l’empire d’orient, là où on parlait grec). Les courtisans utilisaient le pluriel même lorsqu’ils s’adressaient à un seul tétrarque, comme s’ils s’adressaient aux quatre à la fois. Cet usage entretenait la fiction d’une parfaite unité de l’empire.

« Madame est servie » : la servante s’adresse à la maitresse de maison à la personne 3 ; « Ces messieurs me confieront-ils leur manteau ? » : le majordome s’adresse aux visiteurs à la personne 6. Ces usages expliquent qu’en Allemagne, comme parfois en Italie, la politesse demande l’usage des personnes 3 ou 6.

2) Dans d’autres langues (certaines langues orientales, le sanskrit, le japonais…), il y a davantage de personnes. Il s’ajoute alors des critères sociaux : il y a des personnes 1 différentes selon que le locuteur est un homme ou une femme, et il y a des personnes 2 différentes selon que la personne à laquelle on s’adresse est plus élevée dans la hiérarchie sociale, à la même hauteur, ou moins élevée (un peu comme nous tutoyons ou vouvoyons).

Le mot du linguiste
Le cas de l’anglais – où il n’y a que 5 personnes : I, he-she-it, we, you, they – confirme bien que ce qui détermine l’usage des personnes est la situation d’énonciation et le cadre culturel où elle a lieu, et non pas – comme dans le système nominal – un quelconque marquage d’une pluralité.

3) Depuis le XVe – XVIe siècle, on ne prononce plus en français la plupart des consonnes finales, et depuis cette époque le -e final est lui aussi devenu de moins en moins perceptible. Par conséquent, les marques de la personne portées par le verbe ne se prononçaient ni ne s’entendaient plus : /kurs/ (= [je] cours) est devenu /kur/, /parlə/ (= [je] parle) est devenu /parl/. Voilà pourquoi l’emploi des pronoms sujets est devenu obligatoire aux personnes 1, 2 – puis, par analogie, aux personnes 4 et 5 – à l’époque de Villon et Rabelais : le pronom sujet fonctionne à l’oral comme la « vraie » marque de la personne. De nos jours, dans la langue orale, l’emploi du pronom sujet des personnes 3 et 6 se répand : « Papa, il est en bas, il fait du chocolat ; Maman, elle est en haut, elle fait des gâteaux. »

4) Remarques sur le on
Au Moyen-Âge, on est une forme du mot homme, celle qui était utilisée quand le mot était en position de sujet. D’ailleurs, il arrive encore que, pour que la phrase sonne mieux, on fasse précéder ce on d’un l’ qui rappelle l’ancien déterminant : « Je demande que l’on soit sage. » Il est ensuite devenu un pronom indéfini utilisé pour désigner n’importe quel humain. Il s’utilisait donc surtout dans des formules à valeur générale : « On a souvent besoin d’un plus petit que soi ». Le pronom de reprise ou le possessif était alors systématiquement à la personne 3.

De nos jours, l’usage de ce pronom s’étend considérablement ; dans certains cas (plutôt littéraires, ou ironiques, ou familiers…), il peut s’utiliser à la place d’à peu près toutes les personnes : « Comment se sent-on aujourd’hui ? » demande l’infirmière à son malade.

Le gout des mots
La fréquence d’emploi d’un on à la place d’autres personnes est caractéristique de Racine. Il lui permet d’estomper les contours d’une situation d’énonciation qui pourrait être violente :
Pour jamais ! Ah, Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand
on (= puisque je vous) aime ?

                                           Bérénice, IV, 5

Depuis quand pense-t-on (= pensez-vous) qu’inutile à moi-même
Je me laisse ravir une épouse que j’aime ?

                                          Iphigénie, IV, 6

              Non, il (= Britannicus) ne vous hait pas,
Seigneur,
on (= il, Narcisse) le trahit, je sais son innocence.

                                          Britannicus, IV, 3

Surtout, ce pronom censément indéfini s’emploie couramment à la place de la personne 4 (nous). « Nous, on va y aller bientôt. » Depuis Balzac, un attribut du sujet on peut s’accorder au féminin quand ce on désigne à l’évidence un nom féminin : « Mère, on est toujours grandie à prendre soin de ses enfants. » Actuellement il est courant de faire l’accord au pluriel quand le on équivaut à un nous en particulier dans le cas d’un « nous inclusif » : « On est bien contents de nos résultats. » Le pronom de reprise ou le possessif est alors systématiquement à la personne 4.

Le mot du didacticien
Les tolérances orthographiques et grammaticales de 1976, publiés au Journal Officiel en janvier 1977 admettaient déjà ce type d’accord.

 

5) L’ « impersonnel »

Le français n’accepte plus que la place du sujet soit laissée vide. Les verbes impersonnels (il faut…, il est utile de…, il pleut…) sont donc accompagnés d’un pronom dépourvu de sens, et qui a la forme du pronom de personne 3.
Certains verbes ne s’utilisent qu’à une forme impersonnelle : les verbes météorologiques (il pleut, il vente…), certains auxiliaires de mode (il faut, il se peut que…).
D’autres verbes peuvent s’utiliser à une forme personnelle ou à une forme impersonnelle. Ce tour combine alors un pronom impersonnel et une « séquence » (qu’on appelait traditionnellement, souvent au prix d’une grande perplexité pour les élèves, le « sujet réel ») : « Il manque trois élèves, il reste seulement vingt-trois élèves. Il s’agit que le travail soit fini. »

Le mot du linguiste
La place du « sujet » est laissée vide dans quelques formules figées, comme    « peu  me  chaut  »    (du  verbe  chaloir [= préoccuper, tracasser], cf. nonchalant), « point trop n’en faut », « à Dieu ne plaise », etc.