UNE ORTHOGRAPHE RÉNOVÉE

Survol historique

La norme orthographique n’a acquis la fixité qu’on lui connait que dans le courant du XIXe siècle. Auparavant, les usages étaient plus fluctuants. C’est l’exigence des lecteurs que les graphies restent toujours les mêmes, qui a conduit à stabiliser certains usages. 

Au Moyen Âge chacun transcrivait ce qu’il percevait de la langue orale. Du moins, jusqu’au XIIIe siècle. À cette époque le français connait une diffusion importante et, de ce fait, certaines graphies se mémorisent et se fixent. Un siècle plus tard le français est choisi comme langue administrative du royaume et il commence à concurrencer le latin dans les études des notaires. Ceux-ci, nourris de culture classique, introduisent dans l’écriture nombre de lettres étymologiques muettes venues de la langue prestigieuse. Cependant, avant l’invention de l’imprimerie, l’orthographe de chacun dépendait de sa culture et de ses gouts – parfois de ses humeurs.

Le gout des mots
Au XIIIe siècle, la littérature française inspire les littératures étrangères. En Allemagne, Gottfried von Straszburg traduit Béroul (Tristan et Iseut), Eschenbach traduit Chrétien de Troyes (Perceval), Vogelweide les trouvères…
Le Livre des merveilles du vénitien Marco Polo est écrit en français pour faciliter une diffusion internationale, et l’on dit que Dante a hésité à écrire en français sa Divine Comédie avant de préférer le toscan.
En Angleterre, le français est la langue de la cour depuis la conquête de Guillaume. Il faut attendre la toute fin du XIVe siècle pour qu’un Chaucer écrive en anglais les Contes de Canterbury.

Au XVIe siècle, avec la plus large diffusion de l’écrit, les imprimeurs-éditeurs ressentirent le besoin de stabiliser l’orthographe des mots, afin de faciliter la reconnaissance des mots par la voie directe, de rendre ainsi possible une lecture rapide – et donc de vendre plus de livres. Certains intellectuels comme Pierre de la Ramée ou Louis Meigret, ou encore certains poètes comme du Bellay… ont voulu rapprocher l’écrit de l’oral et promouvoir une écriture phonétique. Mais les usages étaient déjà suffisamment installés pour que leurs tentatives restent largement vaines.
Depuis cette époque, le français écrit s’est éloigné toujours davantage du français oral.


Heurs et malheurs des réformes

L’orthographe est donc le lieu d’un affrontement entre, d’une part, l’usage des lecteurs qui tiennent à reconnaitre les mots comme ils les ont appris et comme ils les ont toujours vus et, d’autre part, la difficulté de l’apprentissage d’un système dont le cœur reste phonographique. Car plus abondent les lettres muettes et les concurrences entre phonogrammes (par exemple entre o, au, eau ; entre in, ain, ein, en voire un ; entre é, ez, er, ai…) et plus la difficulté s’accroit pour maitriser l’écriture.
Or une langue évolue, et il n’y a pas d’autre raison que le confort du lecteur pour conserver dans l’orthographe lexicale des graphies compliquées, rares ou isolées ou de maintenir l’orthographe grammaticale liée à des tours compliqués et désuets au risque de creuser encore davantage le fossé entre la langue écrite et le parler ordinaire.
On connait l’exemple du latin : comme les lettrés de l’Antiquité tardive prétendaient pratiquer toujours une langue classique figée, les langues populaires se sont développées de manière spontanée et, au fil des siècles, le latin est devenu une langue morte. 

 

La réforme de l’orthographe
Pierre Perret

Tous les cent ans les néographes
Font une réforme de l’orthographe
En rognant les tentacules
Des gardiens de nos virgules
On voit alors nos gens de lettres
Chacun proteste à sa fenêtre
Mes consonnes, au nom du ciel !
Touche pas à mes voyelles !
La réforme de l’orthographe
M’eût pourtant évité des baffes
Quand je tombais dans le panneau
De charrette et de chariot
[…]
Et quand malgré nos vieux réflexes
On posera plus nos circonflexes
Sur maîtresse et enchaîné
On fera un drôle de nez
Mais les générations prochaines
Qui mettront plus d’accent à chaînes
Jugeront que leurs aînés
Les ont longtemps traînées

En français, le danger d’un divorce entre les deux modalités, écrite et orale, de la langue s’est fait sentir particulièrement quand la scolarité est devenue obligatoire. Pour l’éviter, plusieurs essais de réformes ou de tolérances ont été tentés.

Dès 1901 le Ministère de l’Instruction publique (appellation d’alors pour le Ministère de l’Éducation nationale) publie le 26 février un « arrêté relatif à la simplification de l’enseignement de la syntaxe française ». Dans ce texte, qui aurait dû s’imposer à l’ensemble du corps professoral, il était demandé d’appliquer tout un ensemble de tolérances. Certaines visaient des raretés isolées : accepter le genre féminin pour le nom orge, ou accepter indifféremment l’un ou l’autre genre pour le mot hymne sans distinguer les hymnes religieuses des chants patriotiques. D’autres concernaient des cas beaucoup plus fréquents : laisser invariable le participe passé du verbe laisser suivi d’un infinitif :
          les enfants que j’ai laissé faire, auparavant que j’ai laissés faire sur le modèle de les enfants que j’ai vus jouer
ou, plus fréquent encore, supprimer les ne dits explétifs :
          craindre qu’il aille auparavant craindre qu’il n’aille ; je ne doute pas que la chose soit vraie auparavant que la chose ne soit vraie ; avant qu’il vienne auparavant avant qu’il ne vienne ; sans qu’il le dise auparavant sans qu’il ne le dise
Dans la réalité, cet arrêté n’a jamais été appliqué systématiquement.

En 1976, le Ministère de l’Éducation nationale promulgue un nouvel arrêté. Celui-ci reprend les tolérances déjà mentionnées en 1901 en ajoutant des cas, souvent des cas déjà réglés dans la pratique mais encore réputés fautifs, par exemple :
– accord du verbe à la personne 6 quand le sujet est un nom collectif avec un complément au pluriel :
          À mon approche, une bande d’oiseaux s’envolèrent
– accord du présentatif au singulier quel que soit le nombre du thème :
          C’est ceux que nous attendions
– accord au pluriel de mots en relation avec on :
          on est restés bons amis.
Cet arrêté n’a pas connu une réception meilleure que le précédent.

En 1990, le Conseil supérieur de la langue française a soumis à l’Académie Française le projet d’une réforme. Celle-ci l’a avalisée à l’unanimité, tout en maintenant la validité de l’« ancienne orthographe ». Elle s’est imposée en Belgique, au Québec et en Suisse, mais en France, quoiqu’elle ait été prudente et limitée, elle s’est heurtée à des formes consistantes de contestation, voire d’opposition.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Maintenant les programmes officiels d’enseignement du français ont recommandé en 2007 puis imposent en 2016 l’application de cette réforme. Depuis 2016 aussi, tous les manuels scolaires appliquent cette orthographe révisée.
Logiquement, c’est celle que nous suivons aussi dans nos propositions.
Les points les plus importants doivent être connus. On peut les retrouver ici.